La
Compagnie des chemins de fer du Midi et du Canal latéral
à la Garonne obtient une concession éventuelle pour
un chemin de fer de Castres à Mazamet le 1er mai 1863.
C'est dire qu'on y avait pensé quelque peu avant. En 1843,
Riols revêtait une certaine importance dans la vallée : Le
terrain de Saint-Pons est à peu près le plus pauvre du
département, et Saint-Pons n'a que peu d'industries.
Enlevez de Saint-Pons
les employés et quelques rares fabricants distingués, ce
sera une ville déserte qui s'est laissée éclipser par un
petit village voisin, Riols,
dont il y a vingt ans les fabricants
refusaient les payements en billets, même en billets de banque,
parce qu'ils ne voulaient pas d'assignats, mais aujourd'hui le travail,
les commerces, les voyages ont élevé ces hommes
intelligents au niveau de ce qu'il y a de plus recommandable ;
non seulement ils connaissent aujourd'hui la valeur d'une signature,
mais ils ont su donner un immense crédit à la leur ;
en même temps qu'ils ont fait fortune, ils ont fait celle de leur
pays ; leurs produits sont estimés et recherchés
dans le commerce, à l'égal de ceux de Mazamet ; en
un mot, s'il était permis de fixer un terme au progrès,
nous dirions que Riols paraît
à l'apogée de ses
succès ;
sans crainte de les
voir décroître, nous avons la ferme espérance qu'il
continuera à fleurir, tout à côté de
Saint-Pons, pour la nullité duquel il semble à la fois un
outrageant reproche et un vivant exemple de ce que peuvent le travail,
l'intelligence et la fermeté dans l'exécution de projets
médités avec prudence et maturité.
d'un ponceau
maçonné. La Dépêche du 1 octobre 1908
publie : Nous
recevons la dépêche suivante : Saint-Pons
(Hérault), 30 septembre
-
J'apprends que les express 707 (erreur 727) et 706, venant le premier de Castres
et
qui part de Saint-Pons à 8 h. 50 du matin, et le
second venant de Bédarieux, se sont tamponnés entre Riols
et Prémian, non loin du passage à niveau d'Ardouane. Il y
a sûrement des blessés; la compagnie vient de demander des
médecins à Saint-Pons.
Je me rends sur les lieux.
Saint-Pons,
4 h. 10, soir. - Le tamponnement que je vous ai
signalé ce matin n'est malheureusement que trop vrai. Je reviens
d'Ardouane où il s'est produit. Le spectacle qui s'offre aux
yeux de nombreux curieux est navrant, les machines des deux trains sont
en piteux état ; les fourgons de tête sont
réduits en miettes.
Ce sont les express
706 et 727, venant de
Montauban et de Bédarieux, qui se sont rencontrés.
Le choc a eu lieu entre la
station de Riols et la halte de
Prémian, exactement devant la maisonnette de la
garde-barrière du passage à niveau d'Ardouane. Il a
été terrible. Les parois latérales du premier
fourgon du train 706 et le plafond ont recouvert comme d'une enveloppe
protectrice le tender de la machine.
Deux voyageurs du même train racontent que les banquettes de la
voiture de troisième qu'ils occupaient se heurtèrent. Ils
furent eux-même projetés au dehors par en haut et c'est
à cet heureux hasard qu'ils doivent de n'avoir pas eu les jambes
broyées ; une barrique de vin a été
violemment projetée dans un jardin qui longe la voie.
Deux fourgons sont
couchés sur le talus. Si tout se bornait là, le mal
serait réparable dans une certaine mesure. Nous avons à
déplorer malheureusement la mort du chef de
train 706 ; il y a aussi de nombreux blessés.
La garde-barrière,
Mme Badia (sic), s'est conduite en cette
circonstance très courageusement ; quand elle a
aperçu les deux convois allant l'un contre l'autre, elle a
crié, agité le drapeau et fait tout ce qu'il était
humainement possible pour l'éviter.
Les victimes
Grâce à elle, l'express 727 a pu ralentir ce qui a un peu diminué la
violence du choc.
Le chef du train 706, qui a
été tué, se nomme Mader ; il était en
résidence à Béziers. Le malheureux a
été pressé dans son fourgon ; il a
expiré peu après qu'il a été retiré
de dessous les décombres.
Son corps a été déposé provisoirement dans une salle du collège Saint-Benoît.
Les blessés sont au nombre de dix-sept, dont quatre grièvement. Voici
leurs noms...
Plusieurs blessés sont soignés chez M. Sahuc, propriétaire à
Ardouane, au collège Saint-Benoît,
et chez la garde-barrière ; un
autre vient d'être transporté à l'hôpital de notre ville (Saint-Pons),
son état est très grave il est dans le coma. On croit que
ce serait le chef du train 727. On n'a trouvé aucun papier sur
lui. Les docteurs Mouret, professeur à la faculté de
Montpellier ; Galan, de Riols ; Pastre médecin de la
compagnie et Azaïs, de Saint-Pons, prévenus, se sont rendus
sur les lieux et ont prodigué leurs soins aux blessés.
Au moment de l'accident, les trains
franchissaient le passage à
niveau N° 54, à la croisée du chemin départemental 57.
M. Cauquil,
pharmacien de la compagnie, à Saint-Pons, qui s'est
également transporté à Ardouane, seconde les
médecins ainsi que les infirmières laïques de
l'hôpital de Saint-Pons.
L'enquête
Le parquet de Saint-Pons s'est
transporté, lui aussi, sur les lieux dès ce matin. Le
juge d'instruction a interrogé de nombreux témoins,
voyageurs et employés.
M. le sous-préfet de Saint-Pons et M. Fraisse,
conseiller général, sont sur les lieux depuis ce matin.
Les responsabilités
Le train 706 qui passe à
Saint-Etienne-d'Albagnan à 9 h. 11 du matin, attend
dans cette gare le passage de l'express 727. Ce dernier avait ce
matin du retard ; le chef de gare de Saint-Etienne a lancé
le premier avant que le second ne fût passé.
Etait-il
autorisé par des dépêches reçues de Riols
à agir ainsi ? Voilà ce que l'enquête devra
rechercher. Il faut ajouter que de Bédarieux à Castres,
il n'y a qu'une seule voie.
Le déblaiement
Les travaux de déblaiement
de la voie ont commencé vers trois heures ; la machine du
707 (erreur 727) dont le foyer est mal éteint, laisse
encore
échapper un sifflement plaintif.
Photo du 29 mars 2006
Pour éviter d'autres accidents en ce lieu de triste mémoire, les
barrières
métalliques de
la piste verte, peu
visibles, finissent par se parer d'une touche d'orange.
Photo du 12
juillet 2007
La piste, promue en voie verte Passa Païs, créait une chicane en rondins de bois. Photo du 30 janvier 2013
La sécurité exige bientôt la fermeture de la voie. Un panneau et un ruban bicolore peinent à interdire
le passage.
En 2016, de la lecture supplémentaire : "Passage strictement
interdit -
Risque
d'effondrement", et surtout un grillage
sont ajoutés.
le regard du passant est attiré par la vallée du Bureau et le Saut
de Vézoles
et, plus près, sur le village d'Ardouane,
et son collège Saint-Benoît
qui servit d'infirmerie pour les blessés et
de dépositoire provisoire pour le chef de train, lors de la catastrophe
ferroviaire de 1908.
Le Bureau
Photo du 15
septembre 2012
fait frontière
entre les communes de Riols et de Prémian.
Les travaux
de déblaiement des trains tamponnés seront
longs et pénibles ; on ne peut pas encore prévoir
à quel moment ils seront terminés.
MM. Rouanet, agent voyer d'arrondissement, et Argeliers, agent
voyer cantonal, ont été chargés par le juge
d'instruction de dresser un état des lieux après le
tamponnement.
Une arrestation
Saint-Pons, (6 h. 20),
30 septembre.
- Le chef de gare de Saint-Etienne-d'Albagnan, a
été arrêté ; il aurait avoué
avoir lancé le 706 sans s'être assuré ni avoir
reçu avis que la voie était libre. Il a été
conduit ce soir à Saint-Pons.
A l'Hôpital
C'est bien le conducteur du 727
qui a été transporté à l'hôpital. A
six heures du soir, l'état de cet agent ne s'est pas
amélioré ; il est toujours dans le coma.
Heureux retard
Un heureux hasard a fait que
l'express 727 ne transportait aucun voyageur en provenance du
rapide 121 (P. O.) venant de Paris et arrivant habituellement
à Montauban à 5 h. 15 du matin.
Le rapide 121
(P. O.) ayant eu 50 minutes de retard à son
arrivée à Montauban, l'express 727 (Midi) est parti
de Montauban sans l'attendre.
La Dépêche du 2 octobre 1908 :
Le tamponnement d'Ardouane.
Fatale méprise
Saint-Pons, 1er octobre.
- Je vous ai télégraphié hier l'arrestation
du chef de gare de Saint-Etienne-d'Albagnan. La catastrophe d'Ardouane est due à une
erreur de cet agent.
Depuis dimanche, un train spécial de vendangeurs était
mis chaque jour en circulation de Bédarieux à Castres.
Ce convoi précédait de quelques
minutes le train régulier 706 qui arrive à Saint-Pons à
9 h 34 du
matin. L'express 727 de Montauban à Bédarieux s'arrêtait
exceptionnellement à Riols, où avait lieu le croisement avec le train
de
vendangeurs. Comme d'habitude, le 706 devait attendre en gare de Saint-Etienne-d'Albagnan le passage de
l'express. Des instructions dans ce sens avaient été
adressées aux chefs de gare.
Jusqu'à mercredi, M. Rolland - c'est le nom du chef de
station arrêté - en avait fait une exacte application. Mercredi
matin, l'express 727 avait du retard.
Une irréparable distraction fit
croire à M. Rolland que, comme le train spécial, le train 706
devait se
croiser avec l'express à Riols et, après avoir lancé le premier, il
expédia le second sans avoir demandé la voie...
un chemin de
servicequi
désenclave les terres etles
châtaigneraiesdes
Bourboules et de Tibisac.
Ce chemin est embranché au C.V. N° 5. En 1908,
suite à l'accident d'Ardouane, les rouleaux et les dépêches de
Riols ont été saisis.
M. Rolland, qui
a été écroué à la maison
d'arrêt de notre ville, a fait des aveux complets.
Belle conduite d'une garde-barrière
La garde-barrière
du passage à niveau d'Ardouane, sur la belle conduite de laquelle je
dois revenir, avec un sang-froid et un courage admirables, fit tout,
quand les deux
convois
venant en sens inverse sur la voie lui eurent été signalés par les
sonneries électriques presque en même temps, pour essayer d'éviter le
choc.
Elle réussit à nous
épargner de plus grands malheurs.
Dès qu'elle eut
conscience du
danger, la brave femme, sans perdre une seconde, escalada un tertre
situé à côté de sa maisonnette et, munie du drapeau rouge, fit les
signaux de détresse au mécanicien de l'express.
Celui-ci aperçut les signaux et
ralentit sa marche ; il eut même le temps de faire machine en
arrière.
L'express averti, Mme
Bladié
dégringola vivement sur la voie et se porta, au risque de se faire
écraser, au-devant du 706. Le mécanicien de ce train vit les
signaux de
la garde-barrière.
Malheureusement il
était trop tard, il n'eut que le temps de ralentir. Il ne
pouvait pas arrêter complètement le convoi.
C'est au moment où le
707 (erreur 727) commençait à reculer que le 706 se
précipita sur lui.
Si
Mme Bladié avait disposé de quelques secondes de
plus, peut-être aurait-elle empêché la rencontre des
deux trains.
Le déblaiement de la voie
Saint-Pons, (5 h.50), 1er octobre.
- Les travaux de déblaiement commencés hier
après-midi se sont poursuivis toute la nuit et ont
continué aujourd'hui...
d'un aqueduc
d'aspect apparent semblable à bien d'autres
mais qui, de nos jours, présente la particularité
d'avoir été contraint à rater son entrée.
Les cantonniers et les ouvriers d'Ardouane, occupés à ces
travaux, ont fait preuve d'un réel dévouement.
Ce matin, il ne
restait plus sur la voie que les deux voitures appuyées au talus et les
locomotives.
Celles-ci ont pu être
enlevées
dans la matinée, ainsi que les derniers wagons. Aussitôt après on a
procédé au remplacement des rails détériorés.
A deux heures, le train 703, qui
part de Saint-Pons à midi 53 a pu passer. Il a subi un retard d'un
peu
plus de deux heures. La circulation est rétablie.
Le transbordement des voyageurs
et des bagages s'est effectué hier et ce matin, sous la direction d'un
sous-chef de gare de Bédarieux, avec lenteur, le personnel manquant.
Les trains venant de
Castres
vont jusqu'à Ardouane et reviennent sur Castres, transportant des
voyageurs venant de Bédarieux. Les trains de Bédarieux font de même, en
sens inverse.
L'enquête
Des
ingénieurs, des inspecteurs de la compagnie, le conducteur de la voie
de Castres, le commissaire de surveillance de Bédarieux se sont rendus
à Ardouane pour enquêter sur les causes de la catastrophe. L'ingénieur en
chef et deux ingénieurs du contrôle sont aussi sur les lieux.
Les obsèques du chef de train Madern
Les obsèques de l'infortuné
conducteur-chef du train 706 ont eu lieu aujourd'hui à deux
heures. Le corps a été transporté à la gare de Riols, d'où il a été
dirigé par le train 713 sur Rereinviels, pays d'origine de Madern,
où
aura lieu l'inhumation.
Sa jeune veuve et son petit
garçon suivaient en voiture. La
commune de Riols avait offert une
couronne superbe. M. l'inspecteur Rigaudi s'était rendu à la gare.
Les
blessés, les mécaniciens et le chauffeur du train 706 ont été
transportés par un train de secours à Béziers, suivant leurs désirs.
La plupart des
blessés ont pu continuer leur route ou rentrer chez eux.
L'état du chef de
train Soulé, soigné à l'hôpital de notre ville (Saint-Pons)
reste stationnaire. Il a passé une nuit agitée. Ce matin
il était plutôt calme. Il n'a pas repris connaissance. Sa
femme est arrivée ce matin.
Saint-Pons, 2 octobre.
- Le malheureux conducteur, chef de l'express 727, Urbain
Soulé, est mort à une heure et demie sans avoir repris
connaissance. Il était âgé de 32 ans et laisse une
veuve âgée de 24 ans et un enfant de 3 ans. Ses
obsèques auront lieu demain samedi, à 8 heures du
matin. Le corps sera transporté à la gare et
dirigé sur Fréjairelles, où aura lieu
l'inhumation. La ville de Saint-Pons se dispose à faire à
cette nouvelle victime du devoir, de belles obsèques.