Nid d'aigle, perché
sur un rocher à pic au-dessus de
l'Ardèche : ce village très pittoresque
d'ailleurs,
n'avait jamais eu la
prétention d'avoir une gare. Jusqu'ici on
ne pouvait y arriver qu'à dos de mulet, encore fallait-il-il
être familier avec ce genre d'équitation.
Nous traversons un court
tunnel - la galerie des Plagnes - et nous sommes à Balazuc.
Tout au plus le temps de constater que le train s'arrête et
nous laissons derrière nous l'humble
station
qui
rappelle cependant un grand souvenir. C'est du château-fort
caché derrière cette colline que la voie
éventre,
que partit, il y a 9 siècles, à la tête
de ses
chevaliers, un des principaux chefs de la première
Croisade : Pons de Balazuc, le guerrier-historien.
Une
chapelle romane - celle même où furent
bénies
les armes du croisé - une forteresse aux
trois-quart
ruinée, un haut donjon que le temps a respecté,
quelques
maisons noirâtres, fleuronnées de
trèfles et
d'ogives étagées
sur le rocher à pic qui baigne ses pieds dans les eaux
vertes et
profondes de l'Ardèche, et qui furent probablement les
demeures
de ses hommes d'armes, constituent le village
jadis domaine du haut-baron féodal .
Le temps a respecté le vieux"burg"
qui diffère peu aujourd'hui de ce qu'il était au
onzième siècle...
Devant l'intérêt suscité par la prose
de Léon Vedel, la voie
verte ouvre une porte, à droite, vers ce passionnant village
de
Balazuc, fléché
à 2,1 kilomètres.
Bizarrement, un panonceau tournant le dos à la voie
verte, expose la bonne pratique de "l'ancienne voie
ferrée" :
Cet itinéraire emprunte une ancienne voie ferrée,
propriété du Syndicat des Eaux du Bassin de
l'Ardèche (SEBA).
Pour votre sécurité, soyez vigilants et
particulièrement attentifs au cheminement de vos enfants en
respectant ces quelques règles de
sécurité :
* Empruntez l'ancienne voie ferrée qu'à pied,
à cheval ou à vélo,
* Ne pas s'écarter de l'emprise de l'ancienne plateforme
ferroviaire définie et balisée,
* Etre vigilant à l'approche des croisements avec les routes
départementales,
*Cyclistes et cavaliers : traverser à pied les ponts, viaducs
et tunnel.
Merci pour votre compréhension.
La Via Ardèche
qui a pris place sur cette ancienne plate-forme de la ligne de chemin
de fer "d'Alais au Pouzin", poursuit son
éloignement de Balazuc.
Je
m'absorbe volontiers dans les souvenirs qu'évoquent les
lieux que nous
traversons, mais j'ai compté sans mon compagnon de route, un
Parisien
sceptique, dont la plume a trempé dans mainte
opérette, bien fredonnée
sur le boulevard. Il m'interrompt pour me dire le libretto qu'il vient
de fabriquer en écoutant ce qui
précède :
SCÈNE
PREMIÈRE : En gare, partant pour la Palestine, le sire de
Balazuc sur
son fier destrier de bataille, lance au poing, cuirasse au flanc et
casque en tête. Le ticket sur le casque, une plume d'oie
derrière
l'oreille et une écritoire de corne en sautoir. A
côté, dame Isabeau, sa vertueuse
épouse, qui perd le sentiment, et ne
le retrouve qu'à la promesse d'un
télégramme au débarquement de
Constantinople. Tout
près, son page, "son beau page" chargé d'une
couverture
de voyage et d'un panier de provisions d'où sortent quelques
cols de bouteilles casquées d'argent - vrai
cliquot -.
Derrière, les hommes d'armes, lance en arrêt,
ticket en tête. Chœur de pompiers sur l'air : "Partant
pour la Syrie". Tendres adieux interrompus par l'appel du chef de gare
: Messieurs les
voyageurs pour la Croisade... en voiture !
dont une,
à droite,
propose aux cyclistes d'accéder à
Saint-Maurice-d'Ardèche en 300 mètres par un
ex-chemin
latéral à la voie, qui à
décidé ici de
ne plus l'être.
La Via Ardèche
pointe Vogüé-Gare à 2,1 km,
par dessus un dalot, dont les
risques d'enlèvement de ses garde-corps
étaient
avérées.
L'ouvrage avait depuis longtemps remis
son
tablier. Un tuyau synthétique, coulé dans du
béton, a rebouché la tranchée.
Lorsqu'il
fut question d'établir une voie ferrée entre le
Pouzin et Alais, deux
tracés se trouvèrent en présence: le
premier par Le Teil et
Vogüé,
partie méridionale du département ; le
second par Privas, Aubenas et
Largentière, partie centrale.
C'est le premier qui fut adopté et mis à
exécution.
Privas,
chef-lieu du département, Aubenas et son importante et
industrielle
région, Largentière, chef-lieu de
sous-préfecture, furent sacrifiés.
On
a essayé depuis, sinon de réparer, du moins
d'atténuer l'erreur qui
avait été commise, par des tronçons de
voies ferrées, Aubenas et sa
région, d'abord, Largentière ensuite.
Mais ces palliatifs sont impuissants à desservir ces
régions.
La
ligne du Teil à Vogüé et Alais
étant non seulement insuffisante, mais
défectueuse et même en certains endroits
dangereuse, à cause de sa
déclivité, de nombreux accidents s'y sont
déjà produits.
C'est
alors que le département de l'Ardèche, pour
desservir ces régions
déshéritées, vota
l'établissement d'une ligne de tramway du Pouzin
à
Saint-Paul-le-Jeune par Privas, Aubenas,
Largentière ; mais cette ligne
de tramway, mal conçue, mal exécutée,
et encore plus mal exploitée,
vient d'être supprimée dans sa partie principale,
du Pouzin à Aubenas,
sans avoir rendu aucun des services qu'on était en droit
d'en attendre.
le train parti d'Alais à 6 h 40,
pénétrait sur une emprise dont
l'étendue n'a pris de l'ampleur
qu'après que la station
de
Vogué-Vals, est
devenue gare
de bifurcation.
Aujourd'hui, la remise annulaire a disparu et le
faisceau de voies qui occupe les terrains alentours
est en grande partie
loti.
Le train
d'Alais se
présentait
à quai à 9 h 08.
"VOGUÉ-VALS,
buffet, cinq minutes d'arrêt, les voyageurs pour Aubenas,
Vals et la ligne."
Gare importante où affluent les voyageurs et les
marchandises
de tout le Bas-Vivarais : houilles, minerais de fer, bois de
construction, fourrages, eaux minérales, soies, vins, etc. ;
on peut
s'y approvisionner d'un livre et d'un gigot cuit à point par
l'ex-maître-queux de feu le marquis de Pommereux.
Des crieurs annoncent les journaux du jour : Figaro, Gaulois,
Voltaire, etc., etc. Des voyageurs descendent en assez grand nombre. Ce
sont pour la plupart des baigneurs à destination de Vals.
Un train les attend qui les conduira
à Aubenas,
d'où ils franchiront, en omnibus, les quatre
kilomètres qui les
séparent de la station balnéaire.
Dans un an la ligne prolongée les conduira
jusqu'à Vals même,
et ils pourront, en descendant de wagon, pousser la grille de
l'établissement thermal.
Le 7 juillet 1877, l'ingénieur en chef du
contrôle, Domenget, écrivait de Lyon :
La portion de ligne
comprise entre Vogué et Aubenas va prochainement entrer dans
la phase d'exécution. La compagnie poursuit en ce moment les
formalités prescrites par la loi du 3 mai 1841, sur
l'expropriation pour cause d'utilité publique.
Le service du contrôle a été
récemment saisi, pour examen et rapport, des projets de
détail concernant les traversées de routes,
chemins, cours d'eau, et les stations. La compagnie n'a encore
présenté aucun projet pour la section d'Aubenas
à Prades dont elle poursuit l'étude.
à droite,
de Villeneuve-de-Berg.
Ce n'est que 18 août 1879, que l'antenne vers Aubenas
- à gauche - a été
ouverte.
Nous
voyons s'engouffrer et disparaître dans une
tranchée profonde et tournante
le train d'Aubenas, et nous
continuons notre route àtravers
un paysage sans caractère.
Léon
Vedel bénéficiait de la vue "perçante"
de tout auteur bénéficiant d'une licence littéraire, pour apercevoir d'ici la
tranchée
profonde qui, à la sortie d'un long viaduc sur
l'Ardèche, "fait disparaître le train d'Aubenas".