Depuis
35 ans, lorsque je pense
« Grenade »,
me vient à l'esprit l'eau qui court dans les rampes
d'escalier du
Jardin
d'Islam aux alentours du Palais du Generalife. Depuis
le milieu des années 70, cet havre de
fraîcheur dans la torride atmosphère de deux
dimanches après-midi*
d'août, hante ma mémoire vagabonde.
*(visite
gratuite le dimanche après-midi, à
l'époque)
Ces dernières années, j'ai
approché maintes fois l'Alhambra
sans oser la visiter à nouveau de
crainte de confronter sa
réalité "touristique" crue avec mes
souvenirs sublimés par
de tendres émotions juvéniles.
La
promesse faite à un ami cycliste de lui faire
visiter le lieu me fait vaincre mes hésitations à
la veille même d'une
ascension
de la Sierra Nevada.
La Puerta de los siete
suelos
(porte des 7 sols) se trouve condamnée depuis que Boabdil*
la
franchit pour la dernière fois en quittant l'Alhambra le 2
janvier 1492.
* Boabdil est le 22ème émir nasride qui
régna sur
le Royaume de Grenade sous le nom de Muhammad XII az-Zughbî.
Il
en fut le dernier souverain et mourut à Fès.
A 865 mètres d'altitude, au
col surplombant Grenade et
baptisé depuis « Puerto
Suspiro del Moro »
(Soupir
du Maure), Boabdil
se
serait retourné et aurait pleuré en regardant
pour la
dernière fois son royaume perdu et sa merveilleuse Alhambra.
C'est là que sa mère, Aïcha, aurait
prononcé
le fameux vers resté célèbre : "Pleure
comme une
femme toi qui n'as pas su défendre ce royaume comme un
homme !"
Bab-al-Gudur (Porte des
Albercas) est le
véritable nom de la Puerta de los Siete Suelos
située sur
le flanc sud de la muraille de l'Alhambra. Elle a vraisemblablement
été construite au milieu du XIVème
siècle
à l'emplacement d'une précédente
ouverture plus
petite.
Une rue « commerçante »
nous conduit tout d'abord à
l'église Santa Maria de l'Alhambra, plutôt
ordinaire.
Elle
fut construite à l'emplacement de la Grande
Mosquée.
Dans le prolongement se dessine un imposant palais.
Le Palacio de Carlos
V
(Palais de Charles Quint) a pour véritable appellation "Casa
Real de la
Alhambra" (La Maison Royale de l'Alhambra). Ce bâtiment
imposant et massif
ajoute à l’ensemble architectural une touche
didactique.
Alors que la
légèreté
aérienne des palais mauresques donne l’impression
qu’ils s’élèvent vers le
ciel, le palais chrétien de la Renaissance s’ancre
solidement au sol et impose
sa masse écrasante.
Cour intérieure du Palais de Charles Quint
Nous avons
là la juxtaposition de deux civilisations bien
distinctes ;
l’une, la musulmane, qui se veut spirituelle et
céleste, qui séduit par sa
magie et son enchantement subtil, et l’autre, la
chrétienne qui impressionne
par la majesté et l’efficacité de sa
puissance renaissante.
Chacune
met en
relief et accentue les attraits de l’autre. A
l’Alhambra c’est Rome et
Samarcande qui se tutoient...
Pedro Machuca (mort
à
Grenade en 1550),
principal architecte du bâtiment, débuta sa
carrière en Italie où il s'inspira entre autre de
Michel-Ange.
Nous poursuivons en direction de l'Alcazaba. La
Puerta del Vino,
percée dans une muraille intérieure,
séparait
jadis les palais de la médina voisine et était
fermée au crépuscule.
Claude de Bussy qui n'a pourtant jamais franchi les
Pyrénées, en a tiré inspiration pour
composer «
Sabor Español »,
célèbre
pièce de piano.
L'appellation «
Puerta del Vino » provient
d'une mauvaise traduction faite par les chrétiens
après la Reconquista.
Leur connaissance de l'arabe se
limitait
bien souvent à la langue du commerce et des
traités. Ainsi « Porte
d'Alhamar » a pu
être
entendu « Porte
d'Al Khamr »
(Porte du Vin)
puis traduit en Puerta del
Vino ?
On pénètre maintenant dans la Alcazaba,
la partie
la plus ancienne de l'Alhambra.
Le Sultan Alhamar la fit construire au XIIIème
siècle.
Au-dessus de la Place des Citernes, les Tours
Vermeilles datant de cette époque imposent leurs carrures.
Place des
Citernes
Alcazaba, en arabe
occidental (Maghreb et
Andalousie) signifie une cité plutôt
fortifiée, d’où la Casbah
d’Alger.
Etymologiquement,
Casabah signifie
« roseau » ; le lien
entre la
légèreté qu’inspire les
roseaux et la solidité évidente des citadelles
apparaît
curieux voire énigmatique !
Palais de Charles Quint
vu de l'Alcazaba.
A l'origine, la Place des armes donnait accès à
l'Alcazaba.
Les thermes
La Tour de Comares,
au premier plan, et la tour principale de la
forteresse.
Les remparts
La Tour des Armes,
située sur la muraille nord, porte cette appellation depuis
l'époque des musulmans.
Quatre étages élèvent la cloche de la
Torre de la
Vela (Tour du Guet) à près de 27
mètres de hauteur.
Les Rois Catholiques ont apporté avec
eux une cloche
nommée La Vela (La sentinelle) pour pouvoir sonner la
victoire.
Cette cloche devint le symbole du christianisme.
Elle a retenti lors de
tous les événements importants de la ville de
Grenade et
célèbre chaque 2 janvier le jour anniversaire de
la
conquête de la cité (Dia
de la Toma).
Du sommet de la Torre de
la
Vela, le regard du visiteur embrasse
l'Albaizin traversé
par le Darro, affluent du fleuve Genil.
Sur l'autre rive on
distingue sur un point haut de la ville, le Mirador de San
Nicolá et la tour blanche de son église.
Ce promontoire offre une des meilleures vues d'ensemble sur l'Alhambra
De la terrasse de la Torre de la Vela le
panorama s'étend jusqu'à la Sierra Nevada
au-delà de la ville de Grenade.
La Cour des Lions
est un des endroits les plus célèbres de
l'Alhambra.
Il
est intéressant de remarquer que les sculptures
des 12 lions créent une nouveauté presque
subversive dans
l'art arabo-islamique, d'où un certain
caractère naïf ou primitif. En effet,
l'interdiction religieuse formelle de la représentation
des êtres vivants, en icônes ou en statues, a
poussé les musulmans à exceller
dans d'autres expressions artistiques : arabesques, calligraphie,
chant,
architecture... Certains
chroniqueurs
laissent entendre que ces sculptures proviennent de la maison
d’un
vizir juif...
Quelque soit la véracité de cette affirmation, la
simple adoption d’un
monument
figuratif par un souverain musulman relève de la
transgression.
La cour des Lions du palais de l’Alhambra constitue dans
l’art
islamique, un des rares et beaux précédents.
Les jardins ombragés
équipés de bancs, invitent à la halte
reposante, voire au pique-nique discret.
Un palais se tenait là sous les Nasrides. La Reine Isabelle
fit le vœu
de créer à cet emplacement,
après la victoire,
un monastère dédié à San
Francisco.
Les moines
s'installèrent
dans l'ancien palais. En
attendant la construction de la Chapelle Royale dans la ville basse,
on enterra ici les rois catholiques.
Le transfert de leurs dépouilles fut l'objet de la plus
grandiose
cérémonie jamais vue à Grenade
à laquelle
participèrent même les Moriscos.
Ces derniers d’un baptême récent et
forcé purent
trouver là un moyen de prouver leur loyauté
constammentmise
en cause jusqu’à leur exil final en
1609.
Les jardins du couvent
Aussi passionnante qu'ait été jusqu'à
là, la
visite de l'Alhambra, aucun des palais et jardins parcourus ne
correspond encore aux images sélectives empreintes dans ma
mémoire depuis plus de 30 ans.
Le Generalife se situe hors de l'enceinte de l'Alhambra, quelques
centaines de mètres à l'est.
Plusieurs allées y conduisent dont une en
surplomb de fruitiers
et de potagers.
Ce palais merveilleux que je finissais par croire pur produit de mon
imagination existe bien, il apparaît enfin
au bout d'une allée fleurie.
Les
Jardins du
Generalife sont
inscrits au patrimoine de l'Unesco depuis 1984.
D’après
certaines sources, ce palais était
la « résidence »
d'été des souverains nasrides.
D’autres y voient
plutôt une demeure à l’écart
de l’agitation des palais. Les princes
pouvaient s'y
retirer avec leurs harems et s’adonner à la chasse
aux alentours.
Le
bâtiment a subi d’importantes modifications
après le départ des
musulmans. Un étage a, entre autre,
été rajouté au petit palais.
Le
jardin mauresque se distingue
par un mariage subtil entre fraîcheur et ensoleillement,
entre ombre et
lumière. Sa taille plutôt moyenne et la
clôture qui le préserve favorisent
l’intimité.Les
souveraines musulmanes, dans le jardin, se sentent chez elles.
L’engouement
de l’aristocratie musulmane pour les
jardins est explicable par les descriptions poétiques et
pittoresques par lesquelles le Coran évoque le Paradis
très vert et ombragé promis aux justes.
Le Patio de la Acequia,
profondément modifié par les chrétiens
espagnols,
s'écarte de l'archétype du jardin mauresque.
Ce détail insignifiant de l'Alhambra qui occupe une place
démesurée dans ma mémoire, se
matérialise enfin à mes yeux. Dans les
rampes creusées de la escalera
del agua
(escalier de l'eau), mêlées à la
substance liquide rafraîchissante,
je vois couler des heures heureuses vieilles de plus de trois
décennies.