Ce
feuilleton relate le
tout premier voyage en
Afrique de l'auteur. Il n'a jamais fait l'objet de publication mais
illustre les paysages et certains lieux dont il est question dans ses
livres.
Je
peux le
révéler aujourd'hui, mes écrits de
toute
manière m'auraient trahis, c'est deux années
complètes que je vais passer en Afrique. Je
sais qu'on n'y cuit pas
les missionnaires dans les marmites,
mais on imagine
aisément que durant tout ce temps j'en ai vu de
drôles.
Mais je n'ai jamais été autant
impressionné que ce tout premier jour pour mes tous premiers
pas sur le
continent. Je n'y étais pas préparé.
C'est qu'une fois là, il ne s'agit plus de se contenter de
regarder en spectateur. Il faut agir.
Premier exercice : trouver un garagiste apte
et disponible pour resserrer la culasse de la Renault 6, tout en payant
un minimum. Nous disposons de 15000 francs pour l'aller et le retour...
et moi, pour après le retour. On n'est pas payé
pour se balader !
Ensuite il y a toutes les obligations de contact avec la population. Il
faut se nourrir ! Donc acheter. Donc marchander. Ne pas le faire serait
incorrect.
Nous
profitons de nos derniers instants en Espagne pour confier le
véhicule à un garage Renault. Tant qu'on le peut,
c'est plus rassurant. On a
quand même le Sahara et la Sahel à traverser deux
fois !
En attendant, c'est la frontière qu'il faut franchir
en direction du Maroc. Une frontière terrestre. Ca change du
Perthus où nous n'avons
ralenti que par pure forme. Ici, une file interminable se termine
devant nous ou
derrière, ou à côté. Il y a
des va-et-vient
incessants. Nous sommes dans un "grouillement" indescriptible.
Comment allons-nous nous en sortir ?
Je
considérais
jusqu'à présent que le passage de
frontières était ma
spécialité. J'ai
voyagé ! En Europe.
Je suis allé au Cap Nord,
sans carte,
sinon d'identité; sans savoir quels pays appartenaient alors
au
"Marché Commun" et n'exigeaient pas de passeport. J'ai
traversé la
Finlande nuitamment de nuit (en novembre, c'est la règle)
dans
l'impossibilité que j'étais de revenir par la
Norvège enneigée.
J'ai dirigé
des centres de
Vacances
à la frontière suisse, des camps
itinérants en
vélo dans ce même pays, et dans d'autres
alentours et moins alentours comme l' Espagne. Tout
près
d'ici, en Andalousie.
Combien de fois les jeunes
confiés par divers services de l'Etat n'avaient pas toute la
panoplie des papiers requis ? Je les ai toujours fait passer dans un
sens et dans l'autre. Je n'ai jamais abandonné personne en
cours
de route. Mais là !
Le jeu semble consister à se procurer un formulaire
à
remplir pour le présenter au contrôle. Arriver au
guichet demanderait plus d'une vie.
Des intermédiaires monnaient le précieux
document. Je me
suis fixé pour principe de ne pas entrer dans ce
système.
De ne pas m'offrir du temps. On dit qu'en Afrique, le temps ne compte
pas, alors
je n'entends pas l'acheter.
Sous je ne sais quel prétexte, je finis par accompagner un
autochtone apparemment officiel, jusque très près
de la
guérite
et là, discrètement, je m'insère dans
la file.
Comme si cela était naturel. Comme si le gradé
m'en
avait prié.
Vous êtes combien ? interroge le fonctionnaire dans la
guitoune?
Je me surprends à répondre : 7
Muni de 7 formulaires, je peux en distribuer à quelques
compatriotes moins hardis et en garder deux
exemplaires pour une autre fois. Sait-on
jamais !
Ils me serviront.
Mon
inquiétude grandit au
fur et à mesure que nous approchons du fatidique
contrôle.
Nous voyons nos prédécesseurs vider
entièrement
leurs véhicules afin que policiers et douaniers inspectent
la
totalité des marchandises.
Certes nous n'avons rien de bien illégal, mais
nous
possédons une CiBi qui ne
s'appelle
pas même encore CiBi. Je l'ai dissimulée dans une
console
en contreplaquée sensée abriter un autoradio bien
visible. Le combiné téléphonique est
rangé à part dans un sac de voyage.
Nous sommes à une époque
où
n'existe pas de
téléphone portable. Le filaire fait
parler davantage de lui qu'aux correspondants. On a coutume de dire que
"la
moitié de la France attend le
téléphone et l'autre
moitié la tonalité".
Si cet appareil est rare en France, j'imagine
ce que va
en penser un douanier africain atteint pour moins que ça
d'accès de
fièvre espionite.
Mais c'est à l'idée d'avoir
à vider la voiture, la
cantine en fer, les sacs, les caisses et tout ce qui se plaît
à naviguer librement, que j'angoisse le plus.
Nous sommes certes en Afrique. Mais encore en Espagne.
L'Afrique africaine est à deux pas.
Allons-nous les franchir ?
Vous le saurez, peut-être... dans le prochain
épisode :