Le mardi 8 mai je rentrais de
mon escapade aux environs d'Allela sans faire le détour par
l'ermitage de Sant Onofre.
Sant Onofre me l'a-t-il pardonné depuis ?
Aujourd'hui, je ne ferai pas preuve de la même
désinvolture envers Sant Jaume.
J'ai mes raisons pour cela.
En
ce jour de semaine, pas de
difficultés à se garer à Sant-Jaume de
Frontanyà, une trentaine d'habitants, 1072
mètres
d'altitude. La
plus petite commune de Catalogne. Il suffira, au retour,
de retrouver
le village, certes petit mais de grande notoriété.
Le départ en VTT se
fait, à 9 heures tapantes au clocher du village, par
l'unique route présente.
Les
montées sont franches dans un paysage
varié de prairies herbeuses
et de grandes étendues
forestières bien conservées, où le pin
sylvestre cohabite avec les buis, les hêtres, les
chênes verts et les rouvres.
Les premiers cols de la
journée
sont à aller chercher en aller-retour. Ma carte les portent
sur un chemin. La liste
des cols de Catalogne les placent "dans les champs".
Le premier : el
Collet,
n'y est pas mentionné du tout. Comme il donne
accès aux deux autres - La Creu
del Prat et le Coll de Pal
-
je fais au passage mes constatations personnelles. A l'emplacement d'el
Collet, je trouve tout ce qui fait la
caractéristique d'un
col.
L'ICC mentionne un autre "el
Collet" sur la BV-4656
Le
Col
Sant
Jaume
est bien
indiqué sur la BV-4656 sur laquelle je roule. Un additif
retrouvé a posteriori l'atteste. Le contraire m'aurait
ennuyé.
Cette première
partie de la randonnée manque
totalement
de repères. Je comprends que les cols que je poursuis ne
méritent pas de figurer dans les itinéraires
touristiques mais une petite indication,
de temps à autre, serait bienvenue.
Le Coll Sant Jaume
précède le Coll de la
Batallola dans
un anonymat partagé.
J'en arrive, inconsciemment, à penser que je circule sur un
autre
circuit, préparé pour un autre
jour. Je m'attends donc à bifurquer bientôt sur la
droite.
Dans la descente, une plaque "Santa
Eugénia",
entr'aperçue
à l'entrée
d'une propriété m'amène à
réduire ma
vitesse et, 500 mètres de réflexion plus
bas, à m'arrêter. Je compare cette indication
providentielle avec celles contenues dans mon extrait de carte, ce qui
me
ramène à la réalité de mon
parcours. C'est
à un
chemin situé sur ma gauche que je dois
maintenant m'intéresser. Quant à Santa
Eugénia, j'ai le
choix. Ma carte
indique un "Clot de..." et plus loin un édifice religieux.
Je
décide de remonter voir à quelle Santa
Eugénia j'ai affaire.
Embrouillé par la sainte, je ne sais plus à quel
saint me vouer.
Ma carte indique, à ce niveau, un important chemin auquel
j'ai prévu de confier mes intentions.
Si les Saintes Eugénie abondent, les chemins, eux, brillent
par leur absence.
Tout au fond du vallon, je distingue toutefois un semblant de piste. Je
reprends la descente afin
d'en chercher l'accès.
Pourquoi ne rejoindrait-elle pas la grande piste introuvable ?
Le chemin, débusqué quelques virages plus bas,
reste
avenant jusqu'à ce qu'il
décide de prendre de l'altitude. Je ne lui en veux pas. Au
contraire. Mon prochain objectif exige une
élévation de
corps et d'esprit.
L'effort pour l'effort me motive guère. Peu à peu
l'incertitude
de ma position sur une voie sans perspective me fait envisager
l'abandon. En
compensation,
j'irai gravir quelques cols routiers
franchis en voiture ce matin.
Tous les 500 mètres, un
prétexte nouveau repousse la mise
en application de cette tentation.
Ainsi, j'avance.
Sur
les hauteurs je distingue maintenant une échancrure.
Enfin ! Serait-ce la Collada de
Montclus ?
Il me faut savoir. Plus je
m'éloigne de mon point de départ, plus
l'idée d'y
revenir par le même chemin impose réflexion
approfondie.
A
destination, au milieu des vaches en transhumance, je vois des cols et
des chemins partout.
Un de ces chemins, sur ma gauche - si je suis bien où je
souhaiterais être - mènerait au Col de
Faig i Branca que je n'envisageais pas de visiter.
Une vérification s'impose. Un abandon se doit
d'être motivé.
Un
premier col me fait croire
que je suis arrivé. La réserve de Fernet Branca
pourrait être
là dans une immense citerne. Je pressens la preuve
insuffisante pour certifier mon franchissement du Coll de
Faig i Branca. Quelques
bifurcations plus loin se cache un autre col. Ce pourrait
être
le bon*.
* Ce ne le sera pas
De retour au toujours possible Coll de
Montclus, je décide de poursuivre dans la
direction conforme
à mes hypothèses.
Le point de non retour se rapproche. Mal remise de la rencontre de son
enveloppe avec un trottoir, en 2003, ma
mémoire visuelle sature.
Ma difficulté à revenir tend à
égaler celle
à continuer.
Je vire donc à gauche et m'éloigne encore
davantage dans cette direction incertaine.
Une habitation d'estive me ramène à un peu de
civilisation
humaine. Je fais l'impasse sur les renseignements que pourrait me
fournir
l'occupant. Je ne me sens pas prêt à accueillir
une
mauvaise nouvelle en présence de témoin. J'aurais
besoin
de m'asseoir. On pourrait croire que je m'incruste.
A quelques
kilomètres de là, je soupçonne un
mirage. Une
pancarte ! La première depuis mon départ.
La Font d'Arderico figure tant sur l'Alpina que sur mon
parcours. Cette
précision valide
tous mes points de passage précédents. La fatigue
et le
découragement ne résistent pas à la
bonne nouvelle. Je continue. Il me suffit de
suivre cette piste.
Prochain point de repère le "Refugi Arderico".
Un refuge, ça doit se voir.
Un
carrefour tente de m'égarer.
A tête reposée, chez soi, devant son
écran, la carte, agrandie au maximum,
n'entretient pas d'ambiguïté.
Sur place, un très beau chemin
montant m'attire vers les sommets. Je serais
près de ma base, sur un petit circuit, l'élan
m'emporterait. Ici, ce ne sera pas le cas. Je ne suis sûr de
rien, pas
même de mes forces. Ainsi, la carte fait des
entrées-sorties successives du sac à
dos jusqu'à me persuader de revenir au carrefour litigieux.
Tant
qu'à tester un chemin, autant le faire à
l'opposé
des côtes. Si je ne trouve pas le refuge je reviendrai sans
avoir
trop "dépensé".
Deuxième pancarte : "Arderico
Casa Refugi"
Deuxième soulagement.
Le refuge est là. Je
ne m'y réfugie pas.
Après la fontaine et
le refuge, le Coll
d'Arderico
dans le site fantastique de la Roca
Forcada.
Depuis la fontaine
d'Arderico, je
sentais
que le chemin s'humanisait. Lorsqu'il se meurt sur une excellente
piste, les pancartes prennent possession du paysage. Je n'ai
plus
à souffrir de mes limites mémorables.
Un léger détour par la droite, puis une ou deux
centaines
de mètres sur un très bon chemin,
m'amènent
à délivrer de l'ennui le prochain col.
Qui a pu enfermer le Coll
d'Arderiu
entre un fil de fer enguirlandé et une chaîne nue
? Une
provocation capable d'engendrer - à l'instar des nains de
jardin
- un Front de Libération des Cols.
Ma visite au col
emprisonné
accomplie, j'emprunte la grande piste par la gauche. Passé
le carrefour d'où je viens, quelques coups de
pédales supplémentaires me mettent en
présence d'une nouvelle pancarte : "Mirador del Roc de la Lluna".
La centaine de mètres
qui me séparent du mirador del Roc de la Lluna franchit le Coll Fred.
Mirador
del Roc de la Lluna
Voilà un lieu propice
au pique-nique.
Rien n'y manque, pas même une fontaine.
L'accès à
une vue supérieure
est
aménagée.
Brumeux mais sublime.
L'annonce d'un col est une
première.
Les fontaines se
succèdent.
Sur place, le Coll de la
Seba , bien annoncé, ne trouve
plus utile de se présenter.
Une pancarte pointe sa
flèche en
direction du Pla de
Caillaras sans préciser que deux cols
avoisinent ce pla. Mais je le sais.
Au Pla de Caillaras
le chemin se
divise en deux. Sur la droite on accède à la Collada
del Pla de l'Orri.
Sur la gauche au Collet
Llebato.
Ces deux cols franchis en aller-retour à partir du Coll de la Seba, il
convient de poursuivre la piste.
Non loin, à un carrefour, le plan d'un circuit touristique
vient expliquer la raison d'être des quelques pancartes
rencontrées.
Ma piste, elle, prend fin à
la Collada
de
Falgars, au croisement de la route du sanctuaire du
même nom.
Fontaine
- Collada de Falgars
Dans la descente, un croisement
aux directions bien signalées, offre par la gauche une
ascension rapide à
la
Collada
de Sobirana.
Tout
près, une pancarte indique la
direction d'un Coll
de Jou situé hors de mes extraits de
carte
et hors de mon champ visuel.
A posteriori, je ne regrette pas de m'y être
désintéressé, il se trouve aussi hors
de la carte
Alpina officielle.
A posteriori d'aposteriori je situe le Coll de Jou sur une
autre carte.
Il semble même être
précédé d'un Coll de les
Bittles.
LaCollada de
Sobirana
s'éloigne à mesure que la route abandonne de
l'altitude.
Je commence à
comprendre que le bitume me mène au fond de cette
vallée...
à La Pobla de
Lillet
à 843 mètres, alors que je
frôlais naguère les 1700.
Je n'ai pas le temps de
visiter ce village de quelque 1500 habitants, riche
de ses "Jardins
Artigas" réalisés par
Gaudi.
J'ignore même, à deux tours de roues, le Collet del Tornedor...
par ignorance.
Un petit train touristique unit La
Pobla de Lillet avec le Clot del
Moro via les
Jardins Artigues, le Musée du ciment et le
musée du Transport.
Des serres à 850
mètres d'altitude !
Ma marchande de légumes me dit qu'elles abritent des salades.
En préparant ce
circuit, je
m'étais mis en tête, contrairement aux
évidences,
que je montais à la Pobla
de Lillet, puis qu'il ne me
restait
plus qu'à me laisser glisser jusqu'à ma voiture.
La
réalité est tout autre. Sant Jaume de Frontanya
se trouve
de l'autre côté des montagnes.
Je laisse, sur ma droite, une route qui y mène plus ou moins
directement.
La nationale franchit 2 Colls del
Puig. Le premier à
l'altitude 953,
le second appelé également Collet de Montverdor,
atteint les 1000 mètres.
J'ignore que la piste de droite rejoint la route de Sant Jaume.
J'ai prévu de rester
sur l'asphalte jusqu'au Coll de
Merolla.
La troisième partie de
mon circuit
retombe dans les travers de la première. Aucune indication
nulle
part. Certes le chien du refuge, une sorte de berger allemand rabougri
par l'âge, parvient à m'accompagner cinq ou six
kilomètres, mais refuse de sortir de sa zone de
compétence. Il sait qu'en descente ses pattes manquent de
compétitivité.
Au Coll
de
l'Arç, je concède un
aller-retour au
Coll del
Bac del Portell.
C'est après que ma carte situe les centres
d'intérêt : Sant
Roma, Aranyonet,
un el Portell
non
répertorié mais peut-être digne
d'être
visité...
La piste soudainement
cimentée
incite à poursuivre. La raison me pousse à
reprendre mon
itinéraire retour que je retrouve au Col de l'Arç.
Il n'y a, hormis la
solitude des
lieux et
l'absence totale d'indications, aucun motif d'inquiétude sur
cette piste. C'est donc tout normalement que je crois parvenir
à
la Collada
de la Palomera.
La Palomera
Ma carte, consultée
sur la suite
du parcours, m'indique que le Coll de la
Palomera
n'était
pas là où je croyais, mais ici dans ce
pré. Il y a
donc deux cols et c'est le plus discret qui porte le nom.
A moins que ? Il faudrait d'autres sources.
Le paysage reste magnifique mais
ne me
renseigne pas sur ma position. Je dois faire une totale confiance
à ma photocopie de carte de date et de provenance inconnues.
Le chemin se dégrade
en même
temps que mes certitudes. Je n'ai pas remarqué d'autres
options,
mais quand même.
Le seul carrefour délicat m'amène à
opter pour la
mauvaise solution. Sans conséquences. 200 mètres
plus
loin, j'aboutis dans un pré. Tant pis ! La seconde option
m'oblige à traverser un troupeau de bovins dont j'observe le
sexe au cas où. Au bout du bout du monde, il ne manquerait
plus
que je doive abandonner le cyclisme pour la corrida.
Un col, près d'une
ferme endormie,
m'oblige de nouveau à m'interroger. Des traces de pneus
partent
sur la droite. J'en fais autant.
Je retrouve la route et presque
toutes mes certitudes. Je sais qu'il faut l'emprunter par la gauche.
Surprise ! Revoilà Santa
Eugenia. Un instant
d'inquiétude
se dissipe. Santa Eugenia, protagoniste de la matinée, se
trouvait dans la descente du Coll
de la Batallola que je dois franchir
à nouveau. Je réalise seulement maintenant que la
route
de ce matin et celle que j'ai évitée à
la sortie
de La Pobla de Lillet
ne sont qu'une. J'aurais pu m'en douter. Sant
Jaume de Frontanya est au carrefour de nulle part.
Les descentes de ce matin sont devenues des côtes. De vraies
de vraies.
Malgré l'heure
tardive, je rends visite à Sant Jaume.
(La clé se trouve à l'auberge
publique Marxandó devant l'église.*)
* A l'attention d'un collègue qui se reconnaîtra.
Il est 20 heures.
Ma voiture
m'attend. Quatre heures de route aussi.
Sant Jaume de
Frontanyà fête son saint-patron le
25
juillet. Moi aussi. C'est normal : Jaume,
en catalan, signifie Jacques.
Voilà pourquoi dans cet univers confidentiel je ne me suis
pas
perdu. Voilà pourquoi j'ai encaissé 11 heures de
BTT
alors que le temps, la santé et la
disponibilité ont
réduit mon entraînement au quart de ce qu'il
était.
Voilà pourquoi
je n'ai pas succombé à l'envie de renoncer. Saint
Jacques
veillait. Il ne lui reste plus qu'à plaider ma cause
auprès de Sant
Onofré pour avoir
négligé,
ce 8 mai, la visite de son ermitage. Mais pas celle de
son col.