C'était
un soir particulièrement doux et
étoilé, je revenais de Charleval. Le
petit train des chemins de fer des Bouches-du-Rhône
(départementaux) se
hâtait vers Meyrargues. A la station du
Puy-Sainte-Réparade, le
mécanicien descendit de sa locomotive.
Il pénétra dans la maisonnette
du chef-de-station, dit un bonjour cordial à la
femme de celui-ci, embrassa
les gosses et se laissa offrir un verre de riquiqui. C'était
aux
premiers temps du phonographe, du bon vieux phonographe, criard, aux
éclats cuivrés, ancêtre de l'appareil
actuel à disques et à saphir. - Vène un paou veire
co qu'aven croumpa per lei pichot ! Et
le chef de gare, qui en effet, en avait acheté un, se mit
à tourner la
manivelle. Il en jaillit un Faust enrhumé, une Mireille qui
chantait du
nez, un monologue de Paulin... Après
chaque audition, le mécanicien conscient de son devoir et de
l'heure, voulait remonter sur sa machine ; mais
l'autre :
- Escouto encaro aqueou, coumo es pouli !
Mais les voyageurs pendant ce temps ?
Les
voyageurs ? Eh bien, les uns somnolaient dans leur coin, les
autres s'étaient mis aux portières pour
écouter ; deux ou trois grincheux parlaient de
demander le
registre des réclamations, d'ailleurs introuvable.
Enfin, aux sons d'une marche héroïque, nous
repartîmes, sous le regard amusé de la lune, dont
la
pâle clarté blanchissait la campagne.
Arrivés à Meyrargues,
nous eûmes tout juste le temps, en nous livrant à
un steeple-chase
échevelé à travers les rails et autres
obstacles des deux gares,
Depuis, j'ai revu le
même mécanicien.
Du
moins si ce n'était pas le même, il lui
ressemblait étrangement : il
faisait le quatrième à la manille, pendant un
arrêt entre Meyrargues et
Draguignan.
Seule l'ancienne gare PLM, SNCF depuis 1938, voit toujours passer des trains.
MM. Rouvier et Yves
Guyot, ministres
des finances et des travaux publics, se rendront vendredi prochain dans
le Var pour assister à l'inauguration de la ligne
ferrée
de Meyrargues à Draguignan. Partis de Paris le
vendredi22 mars
1889à
6 h. 50 du soir, ils arriveront le samedi matin,
à 8 heures 50...
En attendant que la triple gare
de
Meyrargues ait attiré sur ce point
l'agglomération
principale du village, ainsi que cela s'est fait pour Miramas, la
station la plus rapprochée de cette localité est Réclavier (Ligne
PLM).
L'endroit n'était
point indiqué aux ingénieurs de
la ligne par une agglomération quelconque de colons. Aucun
être humain n'y faisait son séjour et, depuis que
les
Romains y avaient construit l'aqueduc qui soudait les
souterrains
du canal de Concernade, nulle entreprise importante n'y fut
exécutée.
Par conséquent on n'y trouve ni
église, ni bar de vigilance. Les troupeaux des communes
voisines
peuvent y brouter en paix sans être troublés par
les
noirs desseins du cléricalisme.
Dans ces vallons pittoresques et
déserts, on n'a pas la ressource d'embêter les
curés pour se distraire et les déclamations
démagogiques des bibines enfumées, ne salissent
ni la
pureté de l'atmosphère, ni la
virginité du sol.
Le
règne végétal s'y
développait librement,
sans être dérangé par la partie du
règne
animal qui use du bulletin de vote.
Depuis que les locomotives serpentent le long des ravins, les choses
ont un peu changé...
Ce long papier
alambiqué se résume au fait que les gares de
Meyrargues étaient construites au milieu de nulle part. Ce
qui n'en faisait pas une particularité.
Le Journal officiel de la République française
(Annexes) du 9
mars 1891 publie : Rapport fait au nom de
la commission
des chemins de fer chargée d'examiner le projet de
loi ayant
pour objet de déclasser la section de chemin de fer
d'intérêt local d'Eyguières
à Peyrolles
comprise entre Meyrargues
et Peyrolles, par M. Montaut,
député.
Messieurs,
l'établissement d'un chemin de fer local à
voie normale de 1 m. 44
d'Eyguières à
Peyrolles a été
déclaré d'intérêt publique
par la loi du
27
juillet 1886...
La
première partie du projet, comprenant la section comprise
entre
Eyguières et Meyrargues, a été
déposée à la préfecture des
Bouches-du-Rhône, le 26 février 1887 ;
la seconde de
Meyrargues à Peyrolles, le 4 mai
de la même année.
Mais,
avant cette époque, le Central-Var comportant une ligne
d'intérêt général
à voie
étroite de Draguignan à Meyrargues,
était
concédée par la loi du 17
août 1885 à la
société marseillaise du Crédit
industriel et
commercial, à laquelle a été
substituée
depuis la compagnie des chemins de fer du sud de la France...
La voie
déferrée de la "compagnie des chemins
de fer du
sud de la France" cesse de supporter la chaussée du "chemin
du
plan" et s'enfonce au-travers d'une haie d'arbres
Le 19 février 1891, à la Chambre, on
débattait toujours :
A partir de ce moment-là, deux voies ferrées,
dont le
tracé est pour ainsi dire identique, se trouvaient, entre
Meyrargues et Peyrolles, concédés à
deux
compagnies entièrement distinctes :
la première,
d'intérêt local à voie normale,
concédée à la compagnie des chemins de
fer
régionaux ; la seconde à voie
étroite,
à la compagnie du chemin de fer du Sud de la France.
Or
cette dernière compagnie avait le plus grand
intérêt à ne pas s'arrêter
à Peyrolles
et à prolonger ses rails jusqu'à Meyrargues,
parce que
Meyrargues est la station où le chemin de fer de la ligne
P.-L.-M. de Marseille à Aix et à Gap, traverse le
chemin
d'Eyguières à Peyrolles.
Dès lors,
nécessité de déclasser la section de
Meyrargues
à Peyrolles et de la retirer à la compagnie
d'intérêt local des chemins de fer
régionaux.
C'est ce
déclassement
inévitable, que le conseil général des
Bouches-du-Rhône a décidé en principe,
le 20
août 1889, à la suite de pourparlers avec les
concessionnaires, qui fait l'objet du projet qui vous est soumis...
En
résumé, en tenant compte à la
compagnie des
dépenses d'étude, de piquetage du
tracé et en se
basant sur les considérations qui
précèdent, les
ingénieurs se sont mis d'accord avec les concessionnaires
pour
diminuer le capital de premier investissement d'une somme de
331.000 fr., ce qui le ramène de
5.250.000 fr.
à 4.919.000 fr....
Un
chemin de service s'intercale entre le canal, qui
s'écarte de quelque 6 mètres, et la voie
déferrée
Le conseil général des ponts et
chaussées a
émis un avis favorable à la suppression de la
section
Meyrargues-Peyrolles...
Les
enquêtes ont été partout favorables, sauf, bien
entendu, à Peyrolles
qui espérait avoir un chemin de fer à voie
normale et qui
le voit, par
suite du déclassement dont nous nous occupons,
s'arrêter
à 4 kilomètres et être
remplacé par une voie
étroite, venant de Draguignan pour aboutir à
Meyrargues.
Les protestations ont
été naturellement très vives. On a
dit, avec
raison, que les intérêts des
propriétaires
étaient sensiblement lésés par cette
obligation de
transborder leurs denrées et marchandises à la
gare de
Meyrargues...
Le touriste qui,
à Meyrargues,
prend le chemin de fer du Sud, laissant à gauche la
vallée de la Durance, qui dessine, là-bas, devant
Perthuis, les gracieuses courbes de ses galets blancs et de ses sables
roses striés sur le lit de la rivière,
entend à la
première station,
les employés
de la gare crier : Peyrolles ! Peyrolles !
C'est ce qu'ont dû entendre aussi, le 28 janvier 1889,
à 8 heures 21, les voyageurs partis de
Meyrargues à 8 heures 10.
Le touriste se penche
à la
portière, regarde à droite et à gauche
de la voie
et n'aperçoit, d'un côté que des
éboulis de
terrain portant aux flancs les longues cicatrices des coups de mine,
de
l'autre, que la gare blanche avec
sa ceinture
de verdure, sa haie d'aubépine, le jardinet sur lequel le
disque
projette sa silhouette et la marquise qui dessine sur le quai un large
trait d'ombre violette.